CANON DU MISSISSIPPI
d‘aprèsDavid Daily

Tu es venu ici dans l’espoir que le fleuve s’ouvre
comme une cathédrale;  un jour tu mêleras ton chant
aux chants joyeux des grandes villes, en l’honneur du fleuve.
Or, par la brume un faible son de trompe te rejoint
comme une plainte humaine:  tu voudrais que jamais homme
ne dût souffrir ainsi, de se sentir si seul...
Le haut treillis ferré d’un pont émergeant de ce gris
mouvant, on dirait qu’il respire et se cramponne aux bords.
A tes pieds maintenant, et sur le fleuve qui grommelle,
la brume caille, vagabondant au-delà de ces
débris d’un bateau de plaisance enfoncé dans la vase.
Et le tourment te ressaisit de ton fils nouveau-né
du long combat de ses huit premiers jours sur terre

Te le revois gonfler, ce fleuve, éclater d’un gros rire
ravageur; et soudain la mémoire d’un tremblement
de terre s’arrachant à toute ordre d’idées, d’annales,
t’entraîne; on dit qu’alors le fleuve se précipitait
amont, affolé, foulant les Indiens, dont un, peut-être
était tout près d’ici, confus, maudissant ce courant
qui ne lui avait dit que son nom chuchoté.  (Encore,
encore cette peur que l’enfant ait souffert.)

L’appel de cette trompe erre dans le brouillard.
Le son revient péniblement par ce blanc voile sourd,
grabat tassé autour des éclats penchés de l’épave,
vieilles pierres tombales, voile fait linceul, là-bas,
près de ces arbres agenouillés, qui glissent dans le fleuve.
Tu doutes que ta cathédrale ait aucun lieu sur terre,
et que l’on puisse encore la deviner où il y a
des fleuves comme celui-ci, tirant tel un canon
tueur.  L’Indien qui jure et dans ses poings secoue la boue
du fleuve, tiendra-t-il toujours dans la règle du chant?

Ton enfant vit.  Alors, peut-être que le chant
habite dans la voix de cette trompe, qui répète:
ami, va doucement.  Elle n’a pas fini
sa plainte.  Et ta maison est au-delà la vallée,
là-bas où quelquefois les champs s’étendent trop,
où cependant ton fils respire, qui t’attend. 
Retourne:
ce fleuve a déjà fait crouler un continent.